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Résilience alimentaire locale : un rêve, un projet, une perspective

Un rêve

Imaginez que dans quelque temps,  ayant rejoint près de chez vous une Ferme coopérative, vous donniez comme adhérent(e) trois heures de votre temps en bénévolat toutes les quatre semaines. Avec bien d’autres coopératrices et coopérateurs il s’agirait de cultiver et transformer toutes sortes d’aliments bio ; de gérer les flux, les stocks ; de construire, fabriquer, entretenir et réparer ; de s’organiser pour apprendre, coopérer, décider, vivre ensemble.

 

Vous auriez l’assurance de goûter des productions locales de grande qualité, au meilleur coût, tout près de chez vous. En cas de crise (supermarchés dévalisés, chaînes logistiques défaillantes, sécheresse…qui sait ?) la Ferme coopérative résisterait mieux en raison de la cohésion de ses adhérents, de la diversité de ses membres et de leur proximité, de tous les savoir-faire rassemblés, et de l’attention toujours portée aux questions de résilience.

 

Ce rêve c’est celui d’Olivier M., raconté plus bas, à la fin de cet article (*).

 

Un projet

Comment passer du rêve à la réalité ? Olivier a fait appel au groupe de coordination de Pays d’Aix en Transition, qui a proposé une formation d’ingénierie « Comment donner une base solide à un projet qui démarre ». Cette formation a été dispensée au domaine de Violaine (ferme collaborative située à Venelles – 35 hectares de maraîchage bio ; apiculture, vignes, oliviers ; production et transformation sur place).

Un groupe est formé, un nouveau projet est lancé autour d’Olivier M.

 

 

Une perspective

Toutes sortes d’organisations agissent ici pour la résilience alimentaire de notre territoire, ou s’en préoccupent. Il y faut : du foncier agricole, de l’enseignement, des métiers et filières. Les associations, la société civile jouent leurs rôles également. Les initiatives se répondent, relient et renforcent autour de valeurs partagées, d’une vision commune de l’avenir désirable. Voyez par exemple ce que fait le Collectif ALiMENT , ses propositions et ressources pour influer sur le Projet alimentaire territorial des Bouches-du-Rhône de la Métropole Aix-Marseille Provence et du pôle d’équilibre territorial et rural du Pays d’Arles.

 

Tout cela est bien dans l’esprit des Villes en Transition : rechercher des modes de vie sobres, relocalisés et résilients ; dire son rêve, dessiner l’avenir local, désirable ; faire jouer l’intelligence collective ; se relier aux autres en proximité.

 

Et voici le récit d’Olivier M. , récit par lequel tout peut commencer.

Aix en Provence, 01 juin 2030 : Entretien avec un journaliste de La Provence

 

Quel a été le point de départ de « Notre ferme » ?

Cela fait plusieurs années que l’on doutait des promesses faites par notre système. Faire des hautes études, s’endetter pour sur-consommer sans délai, sans réflexion et profiter enfin de sa retraite. Vivre pour travailler. Exister au travers de la somme de ce que l’on possède. Même si cela fonctionnait encore, nous avions de plus en plus de mal à y croire.

Pour beaucoup, le Covid 2019, a permis de ressentir les limites et les fragilités de nos modes de vie. Il est certain que l’interdiction temporaire d’avoir une vie sociale ne fut pas des plus agréables mais nous avons tous ressenti la sagesse d’une vie plus lente, plus locale, plus reconnectée avec une nature dont les bruits et les odeurs pouvaient à nouveau être perçus.

Quand tout est « rentré dans l’ordre », la plupart d’entre nous, faute de pouvoir s’accrocher à d’autres croyances que celle du consumérisme, ont repris la vie d’avant mais quelque chose avait changé en chacun de nous. Pour d’autres, ce fut le signal. Le nombre d’initiatives pour un avenir possible et durable, explosa.

Pour nous, ce fut la création d’un ferme urbaine coopérative qui mobilisa nos énergies. Le chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui ne fut pas une grande ligne droite, mais il fut passionnant. Chaque obstacle nous a permis de mettre en valeur, à la fois, la force de l’intelligence collective et notre foi inébranlable dans la nécessité de ne plus être des consommateurs mais des producteurs et des créateurs. Aujourd’hui, nous sommes très fiers de ce que nous avons accompli et nous ne manquons pas de le célébrer et de le partager.

Les principes de départ étaient simples : Se reconnecter au cycle du vivant. Faire ensemble. Produire en prenant soin de la nature et des hommes et favoriser la résilience autant que possible. La 1ère voie pour se reconnecter à la nature, c’est la nourriture. Donc le principe d’une ferme s’est imposé comme une évidence.

Comment décririez-vous votre ferme ?

Notre Ferme est un très bel endroit ! Elle a les couleurs d’une nature que l’on respecte et que l’on soigne avec amour. Elle a les odeurs des fermes de nos grands-parents. On aime se reposer à l’ombre de ses très nombreux arbres et se perdre dans le dédalle des petits chemins qui la parcourt en tous sens. On y vient à pieds, en bus ou à vélo et on a l’impression que ceux qui vivent là ont jeté la clef. Mais ne vous y trompez pas, comme dans une colonie d’abeilles, chacun y travaille dans l’intérêt du collectif.

Tout y est organisé et pensé pour éviter le travail inutile et créer des synergies entre les éléments de la ferme. La force humaine ayant remplacé la mécanisation, l’endroit est donc très vivant et tout le monde prend plaisir à être ici.

Bien évidemment, comme dans toutes les fermes ont y produit des fruits et des légumes, mais uniquement de saison. Puisque nous nous sommes affranchis des outils de l’agriculture conventionnelle, nous avons pu densifier nos cultures en favorisant les compagnonnages entre les plantes. Chaque espace est occupé. Chaque plante est soit nourricière, soit médicinale, soit tinctoriale, ou nécessaire au fonctionnement de l’écosystème. La plupart d’entre-elles remplissent plusieurs de ces fonctions. Inspirés dès l’origine par des modèles de fermes bio-intensives, nous avons rapidement atteint des rendements supérieurs à ceux réalisés par la monoculture. Et comme nous produisons la totalité de nos semences, elles ont, d’année en année, conservé leur rendement tout en intégrant les changements environnementaux.

Nous élevons des volailles pour leurs oeufs, quelques vaches, brebis et chèvres pour le lait, deux cochons et deux chevaux de trait. Afin de libérer des terres pour les cultures vivrières, notre alimentation est devenue, par le bon sens, principalement végétarienne. Nous avons également un rucher avec lequel nous produisons du miel et de la cire. Et depuis peu nous essayons de cultiver des champignons. Nous avons encore quelques progrès à faire avant de l’appeler Champignonnière !

Nous avons aussi une grande bambouseraie. On s’étonne encore qu’en Europe, cette plante n’ait pas eu plus tôt le succès qu’elle mérite tant les usages sont multiples : elle se mange, on construit avec, elle nous est très utile dans les cultures pour conduire l’eau ou comme tuteur pour nos plantations. Nous avons également le plaisir d’accueillir depuis 5 ans, une jeune société qui étudie les possibilités offertes par cette fibre végétale.

C’est également un lieu où l’on jardine l’esprit car si comme le disait Einstein « “On ne peut pas résoudre un problème avec le même niveau de pensée que celle qui l’a créé”, alors il nous faut cultiver une autre manière d’appréhender le monde qui nous entoure et les liens qui nous unissent à lui. Nous encourageons toutes les initiatives pour plus de spiritualité tel que, les échanges philosophiques, la méditation et le yoga.

 

C’est effectivement un endroit très agréable mais qu’est ce qui caractérise « Notre ferme » ?

Tout d’abord, la notion de déchet a disparu de notre langage. Tout est appréhendé comme une ressource potentielle. Nos restes de repas nourrissent les animaux, leurs déjections (et les nôtres) sont stockées dans le méthaniseur, dont le gaz sert pour la cuisine et la matière restante finit dans le compost. Les tailles d’arbres sont broyées et servent de paillage sur les cultures. La terre excavée pour creuser les mares a servi à bâtir les murs en adobe* ou en torchis des toilettes sèches, des sanitaires, des ateliers…. L’eau sert plusieurs fois. Par exemple l’eau qui a servi à laver les légumes est filtrée puis utiliser pour se laver ou laver le linge. Et comme nous fabriquons nos savons à base de produits écologiques et bio dégradable, l’eau sert ensuite pour irriguer nos cultures.

Ce ne sont que quelques exemples car trouver plusieurs utilisations à une chose, est devenu un véritable jeu entre nous ; comment mettre chaque chose au bon endroit pour créer un système vertueux.

Ensuite, dès le démarrage nous avons pris le parti de construire sur place le maximum de ce qui serait nécessaire à notre production agricole. L’idée force étant de relocaliser des savoir-faire car nous voulions anticiper la fin du pétrole à bas coût et donc la difficulté de s’approvisionner facilement. Là encore la crise du Covid 19, nous a montré que nous pouvions nous retrouver coupés du reste du monde et donc être potentiellement confrontés à des pénuries. Lorsque nous nous sommes interrogés sur la meilleure manière de rationaliser l’irrigation de nos cultures et que l’oyat* est apparu comme une bonne solution, nous avons appris à les fabriquer. Aujourd’hui nous avons notre propre atelier de poterie et nous fabriquons bien d’autres choses. Lorsqu’il a fallu construire des bâtiments nous avons planté notre bambouseraie, créé les outils pour fabriquer les adobes*. On a également construit un atelier de travail du bois, pour fabriquer des meubles à partir de palettes de récupération, pour construire des cuiseurs et séchoirs solaires. Nous avons appris à fabriquer et entretenir nos outils, à construire des éoliennes… là encore la liste est longue et le plaisir de trouver des solutions en local et si possible à partir de récupération est véritablement enthousiasmant. Et tout ce que nous ne pouvons pas produire, nous le recherchons auprès de notre réseau local.

Je crois également que la gouvernance de « Notre Ferme » est particulière. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Effectivement, « Notre Ferme » est une coopérative qui appartient à ses adhérents. Nous nous sommes inspirés du modèle des supermarchés coopératifs du type La Louve ou encore plus proche Aix’Elan Coop.

Chaque coopérateur devient sociétaire avec une part d’une valeur de 100 Roues * et consacre 3 heures par mois au fonctionnement de la ferme. Le travail est encadré par les permanents (salariés et Services civiques). On essaie au maximum de valoriser les compétences de chacun mais aussi de satisfaire les envies. Les permanents sont également sociétaires. Chaque personne a une part et chaque part vaut une voix lors des votes en AG.
Tous participent à la vie d’un ou plusieurs des 6 cercles principaux (la production végétale, la production arboricole, Les animaux, Les ateliers de construction, Transformation/vente, Accueil et formations). Chaque cercle est autonome dans les choix qui n’impliquent que lui. Lorsque qu’une décision impacte plusieurs cercles, elle est prise par la Gouvernance Coopérative. Ce dernier cercle est composé de membres de chacun des autres cercles.

Le système favorise la prise d’initiative et reconnait le droit à l’erreur. A ce sujet, il faut préciser que la très grande majorité de nos coopérateurs ne connaissaient rien ou quasiment rien sur la manière de faire son jardin et aujourd’hui, ils ont tous un potager à la maison ou sur le balcon. Ils ont appris ici que c’était possible et pas si compliqué que çà.

Il faut également rajouter que notre fonctionnement est inclusif. Nous avons des personnes qui adhérent à notre projet mais ne souhaite pas ou ne peuvent pas s’impliquer, ils deviennent coopérateurs sympathisants et peuvent assister aux ateliers de formations. Beaucoup finissent par devenir des coopérateurs actifs.

Et économiquement comment fonctionne « Notre ferme » ?

Tout d’abord, notre finalité n’est pas de réaliser des profits. La totalité des bénéfices est réinvestie. Notre premier objectif est de produire le maximum de nourriture au meilleur coût pour nos coopérateurs. Nous y parvenons car une partie du travail est fournie bénévolement et nous n’avons aucun investissement important (pas de machine agricole). Nous valorisons au mieux nos produits. Les plus beaux sont vendus et les autres sont cuisinés ou transformés en confitures et conserves mais rien n’est jeté. Nous vendons également les surplus de la production et des plants au prix du marché local.
Notre boutique est ouverte 3 demi-journées par semaine. Et une dernière partie des recettes provient des Ateliers formations en production vivrière et en écoconstruction et également des visites pour le public et les scolaires.

Je suppose que tout n’a pas dû être simple ?

Effectivement nous avons rencontré notre lot de difficultés comme dans tout projet. Mais comme dit l’adage, à tout problème il existe une solution ou alors le problème n’existe pas. Le plus difficile fut de convaincre les propriétaires de terrains non constructibles de nous laisser les utiliser. Certains ont immédiatement perçu qu’il y avait plus de risque de manquer de nourriture que de chance de faire une belle plus-value immobilière. Pour d’autres, cela a pris plus de temps.

Pour la production des semences se fut également un sujet de discussion. Dès le démarrage, nous avons fait de la désobéissance citoyenne pour préserver le patrimoine génétique de nos semences. Cette production était réservée à notre autoconsommation Pour protéger un peu plus notre trésor, nous avons créé une « banque des graines » avec toutes les personnes intéressées sur le territoire d’Aix en Provence. Pour les produits vendus nous achetions nos semences. Et puis en 2025, quand les grands consortiums de l’agro-industrie ont perdu leurs procès contre les associations de défenses des semences anciennes et des droits à une agriculture paysanne, nous avons simplement continué à faire ce que nous faisions déjà mais en produisant la quasi-totalité de nos semences.

Et pour la suite, vous avez encore des projets.

Les idées à explorer ne manquent jamais. Nous allons nous agrandir car nous avons de plus en plus de demandes de nouveaux adhérents. Même si les activités annexes ne manquent pas pour les occuper, comme la garderie pendant que les parents travaillent dans la ferme ou encore les livraisons à domicile, il nous faut ajuster notre production. Le propriétaire d’un terrain limitrophe vient de nous en confier l’exploitation et nous allons y installer une production en aquaponie*.

Et puis cette année est particulière car nous fêtons nos 10 ans. La préparation de cet évènement va nous prendre beaucoup d’énergie.

Entretien avec un coopérateur de « Notre Ferme – Aix en Provence Nord »

* Adobe : brique de terre argileuse crue et séchée au soleil ou cuite au four,
*Oya : pot en céramique micro-poreuse que l’on enterre près des plantations et que l’on remplit d’eau. L’oya diffuse lentement dans le sol l’humidité nécessaire à la plante. Cet arrosage constant et sans excès évite de stresser les plantes.
* La Roue : monnaie locale complémentaire du Pays d’Aix en Provence
*Aquaponie : système qui unit la culture de plantes et l’élevage de poissons